La passion au XXIème siècle définie par Marie Darrieussecq

 (28/11/2013) Si les romans d’amour et de passion ont su marquer la littérature des siècles précédents, le XXIème siècle, noyé comme il est dans les romans à l’eau de rose, peine à trouver cette signature sensuelle.

 

            « Il faut beaucoup  aimer les hommes, écrit Marguerite Duras. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter.». Voici l’une des citations en exergue au nouveau roman de l’auteure et psychanalyste française Marie Darrieussecq. Suite au succès de ses précédentes œuvres, notamment son premier recueil  Truismes qui s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires, Darrieussecq sort chez P.O.L cette année Il faut beaucoup aimer les hommes  que nous retrouvons parmi la quinzaine d’ouvrages  de la première sélection du prix Goncourt. Un choix toutefois écarté de la deuxième sélection de ce prix. Forte concurrence ou sujet éculé ? Quoi qu’il en soit, nous avons nos raisons pour croire en la réussite du roman malgré son élimination finale du prix Goncourt.

            C’est à Los Angeles que nous embarque cette fois Marie Darrieussecq où dès notre arrivée, nous sentons la chaleur d’une flamme amoureuse qui naît au creux d’un des personnages. Solange, célèbre actrice française à Hollywood est éperdument amoureuse de ce grand et bel acteur d’origine africaine ; ce charmant Apollon au regard d’acier et au prénom unique, Kouhouesso. Mais la rencontre des deux acteurs lors d’une soirée chez Georges (Clooney) n’est pas sans ennuis. Si Solange est blanche, Kouhouesso qui rêve de produire un film au Congo, est quant à lui noir. Ce problème de race qui n’est pas censé être un problème majeur aux portes de 2014 surtout aux États-Unis, est un sujet sur lequel s’attarde à plusieurs reprises Marie Darrieussecq dans son œuvre. C’est ainsi et avec une grande méfiance que part Solange en Afrique pour le tournage de Cœurs des ténèbres, la production de Kouhouesso au Congo. Sa rencontre avec le peuple noir est décrite comme un chalenge que surmonte l’actrice heure après heure, seconde après seconde, allant même jusqu’à offrir sa nourriture aux Africains par peur d’être dévorée toute crue par eux. Manque de crédibilité qui a causé à l’auteure son éloignement de la dernière ligne droite du prix Goncourt ? Peut-être.  Mais heureusement que le racisme n’est pas tout ce qui occupe les 312 pages d’Il faut beaucoup aimer les hommes.

            Depuis leur première rencontre dans une soirée festive, Solange ne vit plus pour elle-même, mais existe pour voir Kouhouesso, pour entendre sa voix lors des rares fois où il prend la parole, pour sentir son parfum et l’odeur de ses dreadlocks qui couvre "sa lourde tête sombre". Ce que veut la jeune femme c’est embrasser le creux de sa gorge, ne plus faire qu’un avec sa peau creusée de lignes qui la marque chaque matin, et attendre le prochain signe de vie de l’homme aux pommettes noires. Une attente qui finit même par nous contaminer, nous lecteurs. Le temps que passe Solange loin de Kouhouesso nous pèse. Peu nous importe son aventure au pays de la faim tel qu’il est décrit et ses découvertes lors de son voyage ; on n’a qu’une seule hâte, la retrouver dans les bras de Monsieur pour une nouvelle relation inachevée. Ne voit-on pas là une passion conjuguée au temps Racinien ? Certes. Mais c’est surtout l’histoire de monsieur et madame tout le monde qui nous est contée par Darrieussecq. Toute femme a en elle un côté "Solangique", une passion peut-être enfouie au fond d’elle-même mais qui pourtant existe. C’est alors que s’empare la psychanalyste de la plume de l’auteure qui ne nous révèle l’identité des deux personnages que plusieurs pages après le début du roman. Et pour mieux exercer ses méthodes psychanalytiques, Darrieussecq fait entrer en scène Rose, l’amie de Solange, qui vit à Paris et qui essaie de raisonner la femme tombée sous l’emprise de la passion en traduisant ses sentiments par des mots, d’où son analyse : «Attendre est une maladie(…). Une maladie mentale souvent féminine.»

 

            Grâce à Il faut beaucoup aimer les hommes, Marie Darrieussecq réussit page après page à nous emporter de l’autre côté de la terre où se mêlent passion et regard d’autrui, et où l’un ne rêve qu’à une carrière marquée par les succès tandis que l’autre est prête à tout laisser tomber pour devenir l’ombre de l’homme qui l’a fait chavirer. Un roman de passion moderne comme nous les aimons, qui ose encore reconter l’amour comme une faiblesse.

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