Poétique de la nudité

Nue, Jean Philippe Toussaint, Editions de Minuit, 2013.

 

(28/12/2013) Paru récemment dans les Editions de Minuit, Nue, écrit par Jean Philippe Toussaint, prend directement  place parmi les huit romans candidats du prix Goncourt- Choix de l’Orient pour l’année 2013. Une belle réflexion sur la vie, l’esthétique en tant que telle, mais aussi une toute autre place consacrée à la notion de ‘nudité’, joliment évoquée, dans sa dimension la plus humaine, mais aussi la plus sacralisée.

 

Auteur de La Salle de bain (1987) et La mélancolie de Zidane (2006) et de plusieurs autres ouvrages , Jean Philippe Toussaint, a publié cette année le quatrième volet, intitulé Nue , de son ensemble romanesque Marie Madeleine de Montalte aux Editions de Minuit. Ce dernier opus traite de la saison automne- hiver, et vient clore l’ensemble romanesque, en mettant un terme à quatre saisons de la vie de Marie, créatrice de mode renommée, et personnage principal de cette série.

Mais si cette saison ( automne- hiver), est la dernières à raconter, serait- elle l’ultime solution aux défaillances des amours du narrateur avec Marie ?

‘ Mais je suis enceinte !’ annoncée presque à la fin du roman (page 143), dévoile tout un mensonge, longtemps caché, pour laisser l’héroïne ‘nue’ face à son amant, mais surtout nue face à soi. L’annonce brutale de cette nouvelle, qui constitue elle-même l’essentiel du roman, se fait dans un cimetière, au milieu des convulsions atroces de Marie, causées par l’odeur de chocolat brûlé. La mort est ainsi signe de vie. 

L’originalité de ce volet s’explique par les ellipses des trois premiers ouvrages, qui s’éclaircissent dans le dernier, comme pour clore une chaîne complète et intégrale. La reprise de la promenade  nocturne à Tokyo, des voyages à l’Ile d’Elbe, donne la possibilité aux personnages, mais aussi aux lecteurs de la série complète de Jean Philippe Toussaint, de comprendre certains faits.

Certains pourront quand même dire que le résumé n’est pas adéquat au contenu. Les faits racontés sur la quatrième de couverture n’englobent pas tout le récit. En d’autres termes, il s’agit d’un résumé partiel. Cela est peut être fait exprès : mettre en exergue une telle nudité serait, en quelque sorte, une annonce d’une nudité plus profonde et moins concrète. La nudité physique apparaît donc seulement dans les premières pages du roman, où le narrateur (l’amant de Marie), raconte la création d’une robe de miel, la chute du mannequin nu sur le podium, et surtout l’apparition de Marie sur scène, après, comme pour signer le tableau. C’est ainsi que ces pages peu nombreuses que raconte le résumé, laissent place à une toute autre nudité qui devient attitude 

face à la vie, face à l’autre, face à soi, tout le long du roman.

Mais tout de même, ces quelques pages du début, paraissent vraiment distinguées du reste. Il s’agit bel et bien d’une créativité qui dépasse la raison humaine. Vouloir rendre solide un liquide, en d’autres termes vouloir transformer le miel en robe paraît un peu absurde, et même non réalisable. Or ici, Marie prend le risque et le fait. Elle est vainqueur en quelque sorte, puisqu’elle signe avec bravoure une défaite à la base esthétique. Et si en art tout était permis ? Et si cette chute du mannequin était à elle seule un tableau, de l’esthétique, du beau ? La notion d’échec, en adoptant cette démarche, n’existe donc pas en art. Comme la mort au cimetière est devenue vie, l’échec  en art  devient réussite. Cette hypothèse met ainsi en exergue le beau du hasard, de l’imprévu. Nue  expose donc une belle réflexion sur l’art.

        

Quant au style de Toussaint, sa plume est vive et rythmée, son écriture est fine. Cent soixante-dix pages finissent très vite, et agréablement. C’est ainsi que Toussaint, l’auteur, devient quant à lui personnage ‘éponyme’ , puisqu’il s’approprie cet adjectif, et l’emploie comme style d’écriture. Nu d’obstacles, nu de style recherché et de pédantisme, il écrit. C’est pourquoi son écriture est originale, et son style singulier.

Ainsi, Nue  s’avère être une réussite.  Jean Philippe Toussaint avait dès le début  suivi une certaine stratégie d’écriture qui s’éclaire au fil de la lecture. Les moments elliptiques retrouvés dans ce volet viennent comme pour clore une boucle. Un mannequin nu de corps, une Marie nue à présent, c’est-à-dire débarrassée des pensées qui la tourmentent, et ouverte au monde et aux possibilités de la vie, et un écrivain délesté de l’arrogance des certitudes.

Belle trinité pour une belle écriture ! Expérience de lecture inoubliable !!          

                                                                           Jacqueline Harb. 

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